Je ne voulais surtout pas me retrouver face à lui, surtout pas plonger mon regard dans le sien, surtout pas l'écouter et encore moins le croire.

  Mais le destin a cette fâcheuse manie de faire tout le contraire de ce que je lui dis... et donc, cet après-midi,  je me suis retrouvée face à lui, j'ai plogé mon regard dans le sien, et j'ai crû béatement sa sainte parole...

  On était dans un petit bar, très cossu, intimiste, encore gelés de notre promenade sur les bords de la Loire, durant laquelle, nous avons très peu parlé en dehors des banalités d'usage (mon travail, sa femme, mon travail, sa fille, mon travail .. oui, oui j'ai une vie remplie, je n'ai pas de place pour toi ).

  J'aurais dû refuser net l'invitation à se réchauffer devant un chocolat, j'aurais dû inventer je ne sais quelle excuse, même s'il n'en avait pas cru un mot, mais j'aurais du partir, c'est certain. Mais non... il a eu à peine le temps de proposer que j'avais accepté.

  Je me suis donc retrouvée là, à l'écouter me raconter ses doutes, sa pseudo-douleur, son pseudo-manque, sa pseudo-résignation, son abnégation pour le destin, l'équilibre si fragile de sa fille, de sa vie... Pour un peu, je l'aurais presque plaint, voire même ériger en martyr. Pendant plus de deux heures, je l'ai écouté, sans presque rien dire, juste regarder les traits de son visage, un peu vieillis, un peu tirés, juste me souvenir comme j'avais aimé ce visage... puis comme je l'avais maudit.

  J'ai peiné à ne pas laisser mes larmes couler devant lui, dernier brin de fierté face à quelqu'un qui m'aura laissé plus bas que terre il y a quelques années. J'ai presque failli céder à la douce tentation de le croire, il sait être si convaincant... J'ai navigué entre deux eaux toute l'après -midi, tantôt heureuse d'être là, tantôt écoeurée par lui et surtout par moi-même, de ne pas avoir eu la force de refuser de le voir, de ne pas avoir la force de quitter ce bar sur le champ, de ne pas avoir la force de le mépriser.

  Le temps est passé vite, trop vite ou pas assez, je ne sais plus, mais l'heure de se dire au revoir est arrivée. Je suis partie sur un simple " Au revoir", sans le regarder, faisant le maximum pour qu'il ne décerne rien dans mon regard, et priant pour que surtout il m'oblige pas à me retourner. J'ai fait dix mètres, mes larmes ont commencées à couler, j'étais triste et en colère, soulagée d'être partie mais presque déçue de la tournure des choses, il me manquait quelque chose.. Je ne sais toujours pas quoi.

  Il m'a rattrapée presque en bas de chez moi, je ne sais pas ce qu'il a espéré, mais tout ce qu'il a récolté, c'est qu'enfin j'arrive à lui dire tout ce que j'avais sur le coeur depuis des mois et des mois, à lui dire aussi que je ne voulais pas de lui dans ma vie, ni d'une manière ni d'une autre. A son tour, il a pleuré, je l'ai laissé là, je suis vite montée chez moi.

  Vu les réponses à mes prières, je me garde bien de prier pour qu'il ne revienne pas, mais le coeur y est. Mais je me pensais plus forte quand même...